Les arbres étiraient
leurs ombres inquiétantes, comme des mains griffues qui voudraient
vous agripper. La jeune femme marchait, une lueur inquiète dans les
yeux mais se sentant tout de même, presque, chez elle. Avançant
dans les taillis, branches et ronces s'accrochèrent à sa robe fine
et ses cheveux d'or, lui égratignant les jambes et les joues. Elle
secoua la tête vigoureusement, un peu affolée. Une nouvelle
entaille. Le sang perla sur une épine. Elle foula du pied les
boutons d'un rosier sauvage dont les fleurs ne pouvaient s'épanouir
dans cette nuit. Les lunes semblaient veiller silencieusement sur la
panique de la jeune prêtresse. Elle aperçu une lueur au loin. Un
hurlement déchira la nuit. Papillon attirée par une flamme, elle
avança à travers les bois noirs vers cette lueur pâle et
réconfortante. Elle écrasa un fruit rose et un jus transparent s'en
écoula. Des effluves sucrées assaillirent les narines de la jeune
femme et elle ne put s'empêcher de passer sa langue sur ses lèvres.
Elle songea un instant aux tartes aux abricots que sa mère lui
faisait quand elle était petite. C'était de très petits abricots
ronds, presque rouges qu'on ne trouvait que dans les vergers de
Gilnéas et qu'elle avait du mal à trouver. Ils étaient marinés
dans un sirop très sucré et caramélisaient lors de la cuisson de
la tarte. Parfois, elle y ajoutait un crème liquide à la vanille.
Yzianora sentit une crampe à son ventre en y songeant. Le parfum de
cette friandise de son enfance semblait monter de ce fruit étrange
qui était le parfait mélange entre une pomme et une pêche. La peau
veloutée avait été déchirée par le pied nu de la prêtresse et
une chair ferme paraissait éclatée au sol. Et ce jus translucide
qui s'écoulait. Levant les yeux, elle constata que le fruit était
l'unique produit d'une plante haute aux feuilles vertes sombres
nervurées de doré. Une tige épineuse et des vrilles rappelant le
liseron. Cette plante avait une sorte d'aura de danger et était
pourtant si fascinante. Yzianora avala sa salive, regrettant de ne
pas avoir une part, ou même ne serait-ce qu'un petit morceau de
tarte de sa mère. Elle inspira longuement, conservant les effluves
sirupeuse et sucrées en elle aussi longtemps que possible, fermant
les yeux. Elle sursauta en entendant le hurlement des bêtes.
Frissonnante, elle posa son regard vers la lueur qui vacillait entre
les arbres sombres. Elle détacha son regard de la plante au parfum
sucré, tentant de l'oublier. Un bruit derrière elle. Quelque chose
la suivait. Elle se mit à courir à travers les fourrés, et de
nouveau elle s'accrocha aux branches. A moins que ce ne soient les
arbres eux-même qui la griffaient. Sa fine robe était en lambeaux,
laissant à nue ses formes. Elle tentait de conserver un peu de
pudeur en serrant le tissu diaphane contre elle. Sa peau blanche
était zébrée de rouge et des mèches de cheveux blonds lui
barraient le visage. Elle avançait en entendant derrière elle comme
une chose énorme qui avançait, mais dès qu'elle jetait un regard
derrière elle, tout semblait se figer. Même le vent cessait de
souffler. Et même elle bloquait sa respiration. Et alors le
hurlement retentissait dans les bois. Une forêt qu'elle ne
connaissait pas mais reconnaissait. Elle arriva à une clairière
baignant dans un rayon de lune argenté. L'herbe verte était douce à
ses pieds. Elle souffla d'aise en posant la plante de son pied nue et
écorchée. Aucun épine, que de la mousse et de l'herbe tendre. Elle
leva les yeux vers un arbre. Dans ses branches, une créature
sautillait. Un feu-follet peut-être ? Elle plissa les yeux en
sentant comme un feu de bois. Un rire horripilant carillonna dans la
nuit devenue grise grâce à la lune. Une paire d'yeux brûlant se
découpèrent dans le feuillage fumant.
- Où va-tu, fleur perdue ?
- Montre toi,
créature !
- Ne va pas perdre ton
souffle en ordres vain.
- Qu'es-tu ? Où
suis-je ?
- Je suis une créature
de ton enfance perdue. Tout est perdu chez toi. Tu es chez toi,
d'ailleurs.
- Chez moi dans un
bois tel que ... celui-ci ?
Un grondement se fit entendre derrière eux. Une bête agitait les arbre de l'autre coté de la clairière ; Elle sentit qu'on l'avait retrouvée. Ignorant le rire dément de la créature dans l'arbre elle se remit en route, regrettant déjà la douceur du sol en sentant de nouveau les épines s'accrocher à elle. Un regard en arrière lui permit de voir une sorte de lutin enflammer rebondir sur un champignon géant pour disparaître dans un nuage verte après une cabriole incongrue. Elle secoua la tête pour chasser cette image comme elle avait chassé déjà la fleur-friandise. Un ruisseau lui barrait la route. La lueur rassurante au loin l'appelait. Elle vit alors débouler d'un chemin un chien horrible. Sans yeux et qui pourtant la fixait. Il semblait être couvert d'écorce rouge et des vrilles sombres se tordaient sur son dos ; Un vrai chien tout droit sorti d'un cauchemar. Il humait l'air, grattant le sol. Il redressa la tête en entendant un hurlement. Ainsi, la jeune femme terrifiée sut que ce n'était pas cette chose qui hurlait ainsi. Non cette bête ne faisait que grogner avec fracas et renifler silencieusement. Deux vrilles de son dos plus imposante que les autres se dressèrent, serpentines, vers la prêtresse désarmée et en haillons. Leurs bouts turgescents s'ouvrirent en une corolle obscène, telle deux fleurs impies sans aucune élégance. Un pistil s'agita tel une langue lascive, semblant goûter l'air ou s'imprégner de quelque chose. Le hurlement, encore. Le chien s'ébroua. Et il sauta par dessus le ruisseau, renversant les souches et piétinant lierres et ronces sur son passage. Yzianora cligna des yeux. La bête se dirigeait vers la lueur. Elle en eut le cœur serré. Quoi que fut cette lueur, elle avait l'intuition que si ce traqueur l'atteignait, il se passerait une chose très grave. Récupérant les lambeaux de sa robe, elle en fit deux bandes, l'une pour serrer sa poitrine menue et l'autre pour ceindre ses hanches et lui faire une sorte de pagne. Elle ramassa une branche couchée par l'animal et se mit en route, suivant ce chien infernal avec la conviction qu'elle le rattraperait. Le hurlement se fit entendre plus proche que jamais. Son cœur s'accéléra , donnant l'impression qu'il voulait même sortir de sa poitrine. Certaines de ses blessure les plus profondes saignèrent de nouveau. Elle serra les dents, le regard fixé vers la lueur argentée. La tranchée du chien la fit déboucher dans une ruines envahie de lierres et de liserons. Une sorte de bergerie ou de masure qui devait servir d'abris. Elle avança prudemment. Ses pieds nues s'enfonçaient ; le sol était humide. C'était une sorte de boue et elle blêmit en sentant que cela grouillait même sous les feuilles mortes. Elle eut un haut le cœur, prête à vomir, incapable d'avancer plus, mais sans aucune force ni courage pour même reculer. La peur et l'horreur la pétrifiait tandis qu'elle sentait milles-pattes, vers et asticots se faufiler entre ses doigts de pieds, et presque monter sur ses chevilles. Elle hurla et tentant de faire tomber des ses jambes ce qu'elle lui courir sur les cuisses. Elle aperçu une ombre dans l'encadrement de la porte de la masure. Elle fixa cette ombre d'un regard implorant. C'était un homme rassurant, sans aucun doute. Elle tendit la main vers cette ombre noire aux reflets verts. Ce n'était pas le vert des forêts, le verts des plantes et créatures déjà croisées. Il n'y avait pourtant que lui. Il avait fait un feu dans le cheminée. Un bon repas. Il souriait, ouvrant les bras. Elle trouva la force d'avancer dans la boue grouillante et arriva assez proche pour voir cette silhouette. Il était lui-même fait de cette boue écoeurante. La silhouette suintait de nuit et de nuées grouillante d'un vert putride. Son sourire rassurant n'était qu'oeufs d'insectes pulsant prêts à éclore. Elle sentit son estomac se retourner et vomit sur la créature de boue. Tout n'était que boue collante. Les joints des murs de la l'abri gouttaient de cette boue. Le feu dansant dans l'âtre qui était si rassurant de loin n'était qu'un simulacre aussi ? En lieu et place des flammes, c'était de gros asticots boursouflés qui agitaient leurs anneaux pour donner du mouvement. A genoux, elle sentait la folie la gagner, vomissant de la bile qui attirait vers et scarabées. Sans les comprendre, elle entendait les paroles mielleuse de la boue-homme qui tentait de la rassurer, affirmant que tout allait bien, que la boue ne la toucherait pas, qu'elle ne risquait rien si elle lui faisait confiance, qu'il la protégerait. Posant sa main sur ses yeux, la voix étant des plus convaincante, et même rassurante. Elle sentait la chaleur du foyer fabriqué pour elle mais dès qu'elle ouvrait les yeux, elle ne voyait que la réalité crasse. Elle tenta de se relever, cherchant sa branche récupérée juste avant. Alors qu'elle avait perdu tout espoir en voyant la branche d'aubépine se noyer dans la boue, quelque chose la souleva. Le contact était indubitablement végétal. Cela lui rappelait les branches des arbres qui l'avaient griffée. Elle se laissa porter, tentant de voir ce qui l'extirpait de ce piège. C'était en effet un arbre ... ou presque. Elle cru d'abord à un Ancien qui aide et guide les elfes de la nuit. Mais non, c'était autre chose. Une chose rassurante. La créature était haute comme deux hommes. De bois et d'acier, ses muscles noueux luisaient de runes et de glyphes magiques. Dans son dos, des branches lui perçait les omoplates, comme des andouillers tordus et portant majestueux. Une corne ornait son front, couronnant un visage impassible. Alors qu'il soulevait Yzianora comme un fleur fragile d'une main sûre, son autre main serrait une hache énorme collante de sève. Au loin, la boue gémissait, lui demandant de rester. La jeune femme secoua la tête, se mordant la lèvre d'un air désolée. Le géant de bois l'emportant loin de l'abri boueux et la reposa. Il brandit sa hache et prit une autre direction, débitant les arbres sur son chemin avec force et résolution.
La prêtresse se remettait de ses émotions. Elle réajusta son pagne souillé de boue. Des traces de doigts étaient imprimés sur elle, aux endroits les plus intimes. Elle frissonna une dernière fois, cherchant son chemin. La lueur fit son apparition en hauteur, sans doute sur une colline au loin. Comment faire pour la rejoindre alors qu'elle semblait toujours si inatteignable ? Un bruissements de feuille dans les buissons à coté d'elle la fit sursauter. Son cœur battait à tout rompre. Deux yeux ardents, rouges sang. Un loup noir haut comme une mule sorti des taillis. Il trotta sans s'occuper d'elle, et un chemin s'ouvrait devant lui. Des fleurs blanches ornaient le sentier. Elle paillonna des yeux. Le parfum de l'aubépine sauvage. Le loup disparu au loin. Elle se mit en route avec prudence. Le chemin sinueux allait visiblement vers la lueur. Les lune dardaient leur reflet argenté ou bleuté avec douceur. De temps en temps, elle apercevait le loup. Un coup il était assit à coté d'une plante rappelant la fleur au fruit sucré, la fixant de ses yeux rouges. Une autre fois, il courait au loin aux cotés du chien horrible, le menant dans une chasse invisible et secrète, loup alpha d'une meute improbable. D'autres loups les suivaient alors. A un autre moment, elle vu le loup dans une clairière au loin qui plaquait une petite créature humanoïde qui geignait en faisant roussir l'herbe autour de lui. Enfin elle devina le géant et sa hache qui abattait des ennemis avec toujours le loup qui était là.
Enfin elle voyait la colline et à son sommet, une créature féminine dans un halo de lune. En approchant elle reconnue sans mal une elfe nimbée d'argent et vêtue de voiles vaporeux laissant voir toute son anatomie. L'elfe posa son regard maternel sur la prêtresse humaine. Le loup noir était là, au bout du chemin, couché, le museau posé sur ses pattes avant croisées. Il ne faisait pas attention à Yzianora mais il était là. Cela rassura la jeune femme. Elle gravit le mont, allant à la rencontre de l'elfe. Celle-ci lui tendit la main, souriante. Une voix suave et chaude résonna.
- Il y a des lumières autres dans la nuit que celle que tu connais. Depuis longtemps, je veille.
La chaleur tiède et rassurante envahie la jeune prêtresse, refermant ses blessures. La paix l'envahissait. Elle prit conscience qu'elle avait faim. Il faut dire qu'elle c'était vidée l'estomac. La lueur était maintenant comme une flamme d'argent qui lui léchait le corps. Elle pris conscience que ces haillons avaient « brûlé » aussi. Elle était nue dans la lueur de la lune, baignée et si bien. Le loup noir s'était assis sur son arrière train, posant son regard de braise ardente sur Yzianora. Elle sentit le rose lui monter aux joues. Il fit claquer sa mâchoire. Elle sentit comme des aiguilles dans son ventre et ses tempes. Pourtant, elle n'avait pas peur, rassurée par le halo de l'elfe pâle. Elle se laissa tomber à genoux. Le dos de ses mains la démangeait. Jetant un œil, elle remarqua une fourrure blanche sur ses mains et ses avant bras. Son visage lui tirait, ses os craquaient. Elle sentit un cris monter dans sa gorge mais c'est un hurlement bestial qui déchira la nuit. Elle se voyait à quatre pattes, nue. Pourtant ça le la dérangeait pas. Sa fourrure la protégeait. Elle s'ébroua. Elle était une louve. Elle avait faim. Elle sentait la forêt. Elle hurla à la lune. L'elfe avait disparue, devenu un simple rayon argenté illuminant la colline. Le loup noir trotta jusqu'à elle. Ils se frottèrent le museau. Elle inclina la tête. Il la toisa, le regard enflammé. La patriarche loup noir s'élança dans la forêt noire. Yzianora la louve blanche de la Lune le suivit. Elle se sentait à sa place.
La Demoiselle de Roncesang se réveilla en sueur. La lune caressait la couche de la prêtresse.