mardi 26 août 2014

Couronnement

Couronnement

Noir. Cheveux noirs. Regards noirs. Rideaux noirs. Un freux sur le rebord d'une lucarne grise. La mort est là et l'oiseau noir le sait. Le jeune seigneur a le visage fermé. Si c'est pas malheureux murmure-t-on avec compassion. Après sa mère, voilà qu'il père sa tante et son père le même soir. Les visages compassés. Si c'est pas malheureux, cette famille est maudite. Les échos du passé. Si c'est pas malheureux ?

Noir les draps. Noir le cercueil, en bois d'ébène. La chambre sera murée à la demande du jeune seigneur. Telle quelle, sinon les les draps noirs qui recouvrent tout. Une main blafarde passe dans le col de renard argenté d'un manteau. Son manteau, celui qu'elle aimait tant. Un long soupire. Un frisson. Les poils du cou qui se hérissent. La colère. Fébrile, trouver la potion, une longue rasade et voilà que les choses se calment. Il se calme. Comment faire maintenant. Que faire ? Cela fait des années qu'il est prêt et là il voudrait simplement partir loin et tout oublier. Les alambics, les pentacles, la Nuit, son Chant et ses Murmures. Un coup de bec au carreau de la grande baie vitrée. Les bottes de cuir noires avancent. Une main blanche ouvre alors. Le froid s'engouffre. Frisson. Songe de fourrure. Cheveux raides et noirs qui se balancent sur les épaules de velours pourpres. Ne pas espérer la fourrure, non. C'est bon pour les cols des manteaux des dames ou des capes des seigneurs. Un jeune corbeau. L'oeil rond fixe le jeune seigneur. Il s'y voit, à peine déformé. Comme il fait peur. Ce visage fermé. Ces cernes noires. L'oiseau est presque une touche de couleur tant cette pièce est sinistre. Il sautille et le nouveau seigneur laisse faire. Toujours depuis les origines de la famille, on respecte les corbeaux, surtout en jour de deuil. D'un bond qui serait prodigieux si le corvidé n'avait pas battu les ailes pour tricher, il se retrouve sur l'épaules du seigneur. Croâââ !

Noir le cadavre. Noire l'urne pour les cendres grises de Grey Hawthorn. Le seigneur précédent sera brûlé. C'est nouveau. Personne n'a vu le corps. Ou personne ne dit l'avoir vu. Personne n'ose l'avoir vu. Avec son oiseau sur l'épaule, le fils passe dans les appartements de son père. Tout est vidé. Tout est nettoyé, de fonds en combles. Avec minutie. Avec acharnement. Il ne reste que le portrait qui trône au-dessus de la cheminée avec ce ruban noir. Monsieur, au ça avait-on insisté. Tout le monde savait les tensions, mais il fallait faire comme si de rien. Le retour de l'héritier de son voyage hors de Gilnéas tombait à point après le drame de la nuit précédente. Les mauvaises langues diront bien entendu que c'est un drôle de hasard, quand même ! D'autres affirmerons que jamais un Roncesang ne tue un Roncesang, jamais ! C'est impossible. C'est là le plus grand crime. Y songer même est blasphématoire. Le jeune seigneur écoute les chuchotements. Qu'est-ce que c'est que ce corbeau, encore une lubie. Cet œil rond qui inspecte tout le monde. La scène est jugé satisfaisante par l'oiseau. Froissement de lourde étoffe. Le seigneur bouge et c'est comme le vol lourd d'un gros et gras corbeau gavé d'yeux de pendus. C'est macabre quand on y pense. Seulement quand on y pense. Sinon c 'est qu'un gros et gras corbeau. Sinon ce n'est qu'un jeune seigneur en deuil de son père et sa tante.

***

Le lendemain, il siège. Il a ceint la couronne. Il a ce même manteau. Il boit cette même potion dans un grognement sourd. Et toujours maintenant cet oiseau. Ebène. Comme le cercueil noir de Raven Hawthorn plongé en terre. Ebène qui jacasse et se moque. Le cercueil noir a été descendu avec des cordes blanche. Ebène a claqué du bec sur l'épaule du neveu perclus de tristesse. Le cercueil noir a été couvert de la terre de la Forêt. Et droit comme un pin, le jeune seigneur était là a recevoir les condoléance, à remercier. Et ne pas pleurer. A prendre un gorgée de potion pour que ne surgisse pas devant tous le meurtrier. La bête.

Bien entendu, c'était une vengeance. Une réaction normale. C'est justice que Grey Hawthorn finisse dans cette urne noire et rouge. Le feux sur l'épaule du jeune homme est bien d'accord avec cette justice. C'est la rançon que d'avoir jouer avec le feu ; jouer avec la bête. Celle de la cave, qu'on entendait parfois, on ne l'entend plus depuis le retour du jeune seigneur. Sans doute s'en est-il débarrassé. Il y a assez d'histoire au manoir sans se rajouter une bête mystérieuse. L'oiseau noir est bien d'accord avec cette remarque. C'est une nouvelle ère. Les révoltés du Mur, les histoires de battues dans les bois, les rumeurs venant du domaine D'Argelaine. Et le Tueur de la Pleine Lune, à la Capitale, en avez-vous entendu parler ? Non, Ebène n'en a rien sut. Le jeune seigneur lui s'en fiche, il boit une rasade de sa pharmacopée. On ne peut-être que malade avec la tête qu'il a, c'est sûr.

 
Voilà le neuvième Seigneur de Roncesang, Dorian Hawthorn. Le voici avec sa potion, son corbeau et les ombres qui se meuvent dans le sillage de son riche manteau de noble de la Forêt Noire. Le voici, avec son héritage, dernier de sa race. Sorcier secret d'un art perdu. Alchimiste mystique. Triste comme la tombe de sa mère où jamais il ne va. Mystérieux comme celle de sa tante où il pleure celle qui fut son mentor. Oublié comme cette urne qu'il laissera dans un coin du manoir à prendre la poussière. Le voici, qui est l'Enfant que la gangresylve Lith devra guider pour qu'il accomplisse la destinée de son aïeule et tienne les promesses faites. Le voici qui avance vers son destin.